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La terre de mes racines

La région du Marovatana

Je suis un arbre transplanté et greffé, mais les fibres de mes racines gardent la mémoire de la TERRE où elles s’accrochèrent, au début de la vie. Cette mémoire s’exprime en images... trop peut-être...

La terre de mes racines s’inscrit dans cette enclave, cerclée de rouge aux confins Nord-Ouest d’Antananarivo : c’est la région du Marovatana.

Mon grand-père, accoucheur attitré de la famille, m’a reçu dans ses mains, dans une maison de brique rouge de la rue Pasteur Rabary à Antananarivo.

La maison du Docteur Justin Rajaobelina

C’est la maison de mon grand-père. Une chambre était réservée aux naissances, à l’étage.

La fenêtre est tournée vers le soleil levant.

Cette image de la façade, tournée vers le levant, n’a jamais quitté ma mémoire. Il est vrai, que nous l’avons refixée, sur un objectif photographique, un jour de janvier 1991, soit 57 ans après ma naissance.

Quelques jours plus tard, je suis porté, dans les bras de ma mère, au paradis de mon enfance : le Marovatana que je découvrirai dans le paysage d’Ambohimanga.

Ambohimanga, c’est la " Colline Bleue ". C’est ainsi qu’elle apparaît lorsqu’on contemple, du sommet de la colline d’Antananarivo.

paysage d’Ambohimanga

Mais, quand on y arrive, c’est un cirque de collines où toutes les graduations de vert apparaissent rehaussées, par le rouge de la latérite et le jaune des mimosas. Je découvre le BEAU.

Je vais vivre dans cette région de 1934 à 1942. Mes parents vont habiter dans le petit village d’Ivato. Je vais y découvrir la SIMPLICITE : une route étroite de terre à peine empierrée, des maisons basses, d’un étage, aux toits couverts de chaume ou de tuiles, dont les deux angles de la façade sont précédés de piliers en brique, supportant un balcon en bois.

Tout est humble, comme l’attitude des villageois.

village d’Ivato

Je vais découvrir, aussi, l’infiniment TRISTE, parce que les enfants y meurent beaucoup, fauchés par le paludisme…

Mon père, médecin, a été envoyé sur cette terre pour soigner et prévenir le paludisme. L’année 1939 est arrivée pour rappeler l’effort de guerre. Le médecin de l’armée de l’air présent sur le grand camp d’aviation d’Ivato, a été rappelé en France, avec les renforts. Mon père a été chargé de soigner le personnel militaire restant.

Nos relations se sont étendues aux habitants du camp. J’ai découvert la COMMUNICATION, car j’ai été invité à venir apprendre à lire, et à parler le français à l’école du camp militaire. J’ai appris l’ALTERITE. J’ai su, à ce moment là, qu’on pouvait être différent de moi, par la couleur de peau, par l’aspect des cheveux, par le parler et par la hardiesse du comportement et du langage.

J’ai acquis le mot " d’ ETRANGER ", de " VAZAHA ".

J’ai découvert aussi, le SACRE, en contemplant ces aires de sacrifices des enceintes royales d’Ambohimanga, où des arbres, à nul autres pareils, entrelaçaient leurs branches dans des formes étranges.

Les arbres d'Ambohimanga

Je sentais, confusément, des appels d’une autre civilisation distincte de la MODERNITE qui m’éblouissait, tous les jours.

Car j’étais fasciné par la FEERIE de l’AVIATION du camp d’Ivato.

Je voyais des gens qui descendaient des avions après avoir traversée le ciel, et qui arrivaient de très loin… Je me souviens de l’arrivée des grands aviateurs de " Raids " qui arrivaient de l’au-delà des mers : ASSOLANT, LEFEBVRE, MARYSE BASTIE… Et j’essayais d’imaginer l’inimaginable pour le petit enfant que j’étais…

L’imaginaire de l’enfant se peuple de mots magiques cueillis dans les lectures : Paris, Marseille, Tunis, Tripoli, Ouadi-Halfa, Khartoum, Entebe, Dar Es Salaam, Mozambique, Majunga, puis Ivato, près de Tananarive. Ce fut la voie tracée par les pionniers de l’air : Assolant et Lefebvre.

Cette route fut suivie régulièrement par des avions de ligne multimoteurs : trimoteur Bloch, bimoteurs Goëland Caudron-Renault, dont chaque arrivée était un événement ressenti par tout le village d’Ivato. Quel contraste saisissant que de vivre dans ce village traversé par des charrettes attelées à deux zébus, réunis par un joug de bois sommaire, mais survolé au ras des toits de chaume par des avions modernes, étincelants dans leur robe d’aluminium.

Je savais, parce qu’on me le disait, que j’étais au bout de la route qui reliait le monde moderne à une île figée dans sa tradition.

Est-ce que je sentais, confusément, qu’un jour lointain, j’emprunterai, en sens inverse, cette route ? Est-ce que c’était un rêve d’enfant ? je ne m’en souviens plus maintenant, mais c’était indéniable, que la route du savoir passait par cette route prise en sens inverse…

Le retour dans le passé traverse des plages de lumière au milieu de la nuit de l’oubli ; je me souviens que l’arrivée d’un avion de France, était un événement, et n’était pas quotidienne, par contre, je voyais tous les jours, des biplans Potez 25, décoller, survoler le village d’Ivato et atterrir. Certains avaient une carlingue aménagée pour transporter des malades couchés. Chaque fois, que l’un d’eux arrivait avec son précieux chargement, mon père, seul médecin du lieu, était présent sur le terrain d’atterrissage ; ou bien, il interrompait son repas, ou sa nuit de sommeil pour s’y précipiter.

Ce sont des faits qu’un enfant n’oublie pas.

Progressivement, je compris ce dont il s’agissait. Ces avions allaient chercher des malades graves, ou de grands blessés dans d’autres petites villes ou dans des villages de l’île, pour les transporter dans le seul grand hôpital, situé dans la capitale de la colonie.

C’était une évacuation sanitaire vers l’hôpital colonial.

L’avion d’évacuation portait les cocardes militaires, l’hôpital colonial était un établissement militaire, où tout le personnel médical et paramédical appartenait à l’armée coloniale : c’était une des multiples œuvres du Service de Santé des Troupes Coloniales.

"Heureux enfant, tu ne t’étonnais de rien…
Tu ne t’étonnais pas que tout être humain, sans distinction
D’origine, de race, ni de fortune, pût être secouru gratuitement
Et transporté par avion sur des distances aussi longues que
Celles qui séparent Marseille de Paris, pour être soigné en urgence ".

Je me suis imprégné, depuis ma tendre enfance, de ces grandes leçons d’humanité.

Toute ma vie d’adulte et de médecin, je n’ai jamais remis en question le bien fondé, d’une assistance humanitaire.

Trente ans plus tard, je rencontrais à Nice, le grand pionnier des évacuations sanitaires aériennes à Madagascar. Il m’avait connu, enfant, puisque c’est dans l’école créée par lui à Ivato, que j’ai appris à lire. Il était très ému, car je m’apprêtais à prendre l’avion de ligne Nice –Cotonou, avec ma femme et notre bébé de 6 mois, pour aller exercer dans mon premier poste de chirurgien au Bénin.

Il a évoqué, avec nostalgie, son œuvre à Madagascar, puis, conscient de la gravité de la conversation, il a voulu l’émailler d’une anecdote plus comique que je vais relater.

Au début de l’organisation des évacuations aériennes, à Madagascar, il avait voulu s’assurer de trouver dans toutes les régions de l’île, de terrains de secours pour poser des avions, et il avait lancé un appel d’offre publique, précisant les normes des terrains d’atterrissage. Une des réponses l’intrigua par son originalité. Elle émanait d’un " lieutenant " honoraire et témoignait d’une connaissance si parfaite des règles de la correspondance militaire, qu’il se rendrait personnellement voir le terrain proposé, à une date précise. Il fit le voyage en automobile conduite par un chauffeur militaire, et parvint à destination, après un long voyage, sous une chaleur exténuante et dans la poussière soulevée sur les pistes qui justifiaient le port d’une tenue aérée, torse nu et en short. C’est alors qu’il vit, à l’entrée de ce petit village, un officier européen, en tenue datant de 1890, dans une position de grade à vous, le sabre à la main, prêt à présenter sabre. Le Colonel rectifia sa tenue, le plus vite qu’il put, dans la position acrobatique qu’on peut imaginer et eut juste le temps de boutonner sa veste et de se coiffer de sa casquette, pour répondre au salut très protocolaire de ce lieutenant, sabre au clair, qui, malgré une prestance encore bien conservée et une rectitude très militaire sous son uniforme suranné et passablement fané, présentait l’aspect d’un homme de 70 ans. Il déclina, nom, grade, régiment d’origine et expliqua qu’il était venu au moment de la conquête de l’île en 1895, puis avait démissionné de l’Armée pour épouser une reine d’une tribu Sakalava. Depuis 40 ans, il administrait les sujets de cette reine et gérait ses terres, et il avait découvert récemment, un terrain qui répondait parfaitement aux normes demandées. Ce terrain était, en effet, parfait et accepté par l’Armée de l’Air, ce qui permit aux autorités de la colonie de faire la connaissance de ce dynamique septuagénaire.

Quelques jours plus tard, je dis au revoir au colonel, avant de partir , moi-même, pour une aventure africaine. Ce fut un ADIEU, car une maladie cruelle l’emporta dans les mois qui suivirent. Un personnage de légende de mon royaume d’enfant disparaissait, à son tour. Mais les souvenirs de toutes ces vies exemplaires restent gravés dans ma mémoire et jalonnent ma méditation d’autant de repères lorsque j’effectue ce retour en arrière.