Le rideau se lève sur la scène d’une grande tradition monarchiste dont l’acteur principal est Rainimanonja, sous le règne du Roi Radama 1er entre 1810 et 1828. C’est le grand-père de ma grand-mère , il est notable de la Cour Royale d’Ambohimanga, dont le palais s’élève à 20 km au Nord de Tananarive, et porte le grade de 8 honneurs, ou " Voninahitra " en malgache.
Rainimanonja c’est le père de la houle. On l’imagine très bien soulevant lentement la foule, comme la houle qui pousse inexorablement de longues et puissantes vagues. Il a, en effet, de l’autorité politique et appartient au Clan des Tsimahafotsy qui assure le roi. " FOTSY " se traduit par "blanc " et devient symbole de pureté. Les Tsimahafotsy ont la qualité d’abnégation totale, et n’arrêtent leur œuvre que lorsque l’extrême pureté est atteinte.
Les " Voninahitra " ou " honneurs " sont crées par la roi Radama 1er pour récompenser les militaires qui n’ont aucune rétribution financière : seuls les riches qui assurent eux-mêmes leurs besoins sont recrutés dans l’armée.
Le simple soldat porte un honneur, le sergent 3 honneurs, le lieutenant 5 honneurs, Rainimanonja qui est comparé à un lieutenant-colonel porte 8 honneurs.
C’est à ce titre, qu’il reste à la disposition du roi à Tananarive pour conduire des expéditions de soumission en terres lointaines. Il dirige des missions de pacification au pays Tanala, à 300 km du sud de Tananarive, puis au pays Bara à 400 km au sud-ouest de Tananarive. Son frère aîné Rainijohary, est plus élevé dans la hiérarchie, car il est conseiller ou encore " LEFITRA " du gouverneur de la province de Majunga au nord-ouest de Tananarive : le prince Ramanetaka.
" Lefitra " veut dire conseiller mais aussi espion car il est le garant de la doctrine du roi. Il porte, à ce titre 9 honneurs. Vers la fin du règne du roi Radama 1er , Rainijohary revient à la Cour à Tananarive, où il est porté à la distinction de 12 honneurs.
A l’époque, le nombre des honneurs est réservé aux militaires et donc limité à 13, ce qui correspond au grade de Chef des Armées. Rainimanonja est élevé à 11 honneurs.
Les honneurs viennent récompenser la prise de conscience nationale et l’attachement à la monarchie de ces hommes. Leur renommée est grande, dit-on, mais leurs grandes qualités morales n’étonnent pas autrement car ils ont de qui tenir. Leur père Rabefanota fut en 1787, parmi les douze Tsimahafotsy qui aidèrent Ramboasalama, prince d’Ambohimanga, à unifier les 4 cités royales d’Ambohimanga, d’Ambohitrabiby, d’Ambodatrimo et d’Antananarivo, et à créer le royaume merina.
Ramboasalama devint le roi Andrianampoinimerina dont le nom se traduit en français : " le seigneur espéré de l’Imerina ". " Le messie des Merinas " régna 23 ans de 1787 à 1810. Il caressa toute sa vie, le rêve d’étendre son royaume jusqu’à la mer. C’était un roi éclairé, qui alla jusqu’à prendre avis, auprès de 2 conseillères attitrées, qui étaient reconnues, pour leur intelligence et leur sagesse. C’était Ralesoka, sa propre soeur et Ratsiamboho, l’épouse de Rabefanota et la mère de Rainimanonja.
Rabefanota commanda, en chef, l’armée du roi Andrianampoinimerina et la conduisit à la conquête du Marovatana et de la contrée du sud de Tananarive jusqu’au pied du massif de l’Ankaratra. Il mourut, au combat, dans cette région.
Son corps fut ramené à Ambohimanga, où il fut enseveli, au sommet de la colline, dans un lieu-dit " Mahazaza ", cimetière réservé aux " Andrianas " ou " nobles " de Haute Caste. Cette sépulture très honorifique fut voulue par le roi. Ratsiamboho, son épouse, fut ensevelie à sa mort, dans un tombeau familial, dans une vallée au pied de la colline d’Ambohimanga. Par la suite, ses restes furent transférés au sommet de la colline, dans un lieu réservé aux nobles. Pourquoi préciser tous ces détails funéraires ?
Parce que mes ancêtres n’appartiennent pas à la caste noble, créée par le roi Andriamanelo, au 17ème siècle, autour des roitelets de l’Imerina.
Une des quatorze portes dites "extérieures" du Rova d'Ambohimanga : Ambatomitsangana.
Celle-ci sont reliées à des fossés grâce à des chemins piétonniers la plupart du temps pavés. L'emplacement de ces "vavahady" correspond à des positions astrologiques très précises. Elles ont des fonctions spécifiques. Celle, sur la photo, ne peut être empruntée que par la famille royale.
Ils appartiennent à une grande bourgeoisie aisée, assez riche pour assumer des fonctions dont ils ne tirent aucune rémunération. Mais ils ont une haute conscience politique de l’unité nationale, pour laquelle ils sont prêts à se sacrifier. Leur conduite sous les règnes de Radama I, Radama II et de Ranavalona 1ère tend à le confirmer.
A la fin du règne de Radama 1er (1810/1828), les 2 frères Rainijohary et Rainimanonja sont réunis à la capitale du royaume unifié : Tananarive.
Ils ont acquis une certaine renommée militaire et ils sont, en droit, de penser à la politique de leur pays. Sur ce point, ils sont fortement marqués par la tradition laissée par le roi Andrianampoinimerina. Sur la fin de sa vie, le roi a édicté une loi salique : les héritiers à la couronne ne peuvent être choisis que parmi les descendants de sa grand-mère, la Reine Rasoherina, épouse du Roi Andriamasinavalona, roi de l’Imerina.
L’idée de l’unité pensée par le jeune prince d’Ambohimanga et portée par le clan des Tsimahafotsy imprègne ce texte de loi. Mais si la cour royale d’Ambohimamga a imposé sa domination, sur les trois autres cours, elle n’a pas, pour autant, exterminé ses nobles. Des nobles venant de ces cours pensent que la couronne peut-être portée par une régente, surtout si en tant qu’épouse du roi défunt, elle a bénéficié de l’expérience de son mari, en ce qui concerne les affaires du royaume. C’est ainsi, que le terme de " Ranavalona " " celle qui a été pliée et gardée en réserve " apparaît dans le langage politique.
A la mort du roi Radama 1er, en 1828, sa 1ère épouse Imavo est proposée par le clan des Tsimiambolahy venus de Nahehana et d’Ilafy, pour monter sur le trône, aux dépens des deux enfants, le prince Rakotobe et la princesse Raketandrama.
Le droit de l’expérience doit-il prévaloir sur le droit du sang ?
Les clans des Tsimiambolaby entre en conflit avec le clan des Tsimahafotsy.
La première épouse du roi, n’est que cousine germaine du roi. Elle n’appartient pas à la lignée directe de la reine Rasoherina. Finalement, le clan des Tsimiambolahy remporte la lutte. Imavo monte sur le trône, et prend le nom de Reine Ravalona I. Son règne dure 33 ans, de 1828 à 1861. Les groupes de pression autour du chef de gouvernement se multiplient et se divisent. La hiérarchie change :
Il précède au 4ème rang Rainimanonja, son frère cadet et mon ancêtre.
Puis Andrimihaja disparaît. La charge de Premier Ministre se dédouble :
A la même époque, la Reine Ranavalona 1ère prend conscience de la présence d’une classe politique civile qui mérite ses égards autant que les conquérants militaires. Elle décide donc, que les hauts fonctionnaires civils bénéficient des " Honneurs " comme les militaires.
Sous le règne de la Reine Ranavalona I, en 1857, Rainimanonja présente les signes d’une tumeur de la bouche, qui apparaît inguérissable aux thérapeutes indigènes. Très émue de ce qui arrive à son conseiller, la reine fait appel à la France. C’est de l’île Bourbon, déjà île française, que vient le secours par l’arrivée d’un chirurgien qui porte le nom de Docteur Milhet. Il est assisté de 2 auxiliaires médicaux qu’il présente sous les noms de Duquesne et de Joseph.
Miracle de la science européenne, Rainimanonja guérit, après une intervention chirurgicale et des soins attentifs qui durent 3 mois.
Reine compatissante auprès de ses fidèles, Ranavalona est aussi une reine cruelle et sanguinaire vis-à-vis de ses sujets qui ont préféré la religion chrétienne. Serviteur dévoué, Rainimanonja ne laisse rien paraître de ce qu’il pense de la religion chrétienne qu’il voit pratiquer autour de lui.
A la mort de la reine Ranavalona I, et lorsque la clémence du Roi Radama II le lui permet, Rainimanonja révèle son inclination pour la religion chrétienne. Il accueille Duquesne et Joseph qui ont aidé à le guérir, 4 ans auparavant. Il ne s’offusque nullement lorsque ceux-ci révèlent leur véritable identité qu’ils avaient caché jusque là : à savoir leur qualité de prêtres catholiques de la Congrégation des Jésuites. (Il s’agissait du père Jouen, futur préfet apostolique et du père Weber).
Il poursuit sa mansuétude jusqu’à leur offrir, sans rien en retour, un terrain dans le quartier du Palais Royal, pour y élever une église et une école.
Les Jésuites et l’Eglise Catholique peuvent, sans nul doute se prévaloir d’une place privilégiée pour hausser, au premier rang, la confession catholique romaine. L’histoire en décide autrement, et il apparaît que par la suite, la confession catholique est égale à la confession protestante. Mais, à la veille de la soumission à la colonisation, en 1896, Rainimanonja croit comprendre que la confession catholique romaine est la religion d’Etat de la France et pense que le peuple malgache a intérêt a choisir la religion catholique. ( En fait depuis la charte de 1830, sous Louis Philippe, la religion catholique n’a plus son caractère de religion d’état).
Sur ce point, je suis fasciné par l’intelligence et la clairvoyance de mon trisaïeul.
Sous le règne de Radama II (1861/1863), mon trisaïeul Rainimanonja est dans l’opposition avec tout le clan des Tsimahafotsy.
Le clan Tsimahafotsy est la victime d’accusations diffamatoires le rendant responsable du massacre des compagnons de débauche du jeune Roi Radama II.
Le roi Radama II, en effet, mène une vie tumultueuse consacré aux jeux et aux plaisirs.
La cour le lui reproche. Il est assassiné le 10 mai 1863. Rainimanonja est innocenté à la suite d’un procès public, où il prend sa défense, non sans avoir exhorté au calme l’auditoire qui prend parti contre lui, et manifeste bruyamment ; se tournant vers l’auditoire, il leur dit dans une phrase devenue dicton de la sagesse populaire : " AZA HORAKORAHIANAREO FA AINA ITY " : "vous êtes priés de cesser de faire du tumulte, car, c’est une vie humaine qui se joue en ce lieu. "
Son innocence est reconnue, et son honneur préservé, car la reine Rasoherina qui succède à son mari Radama II de 1863 à 1868, le maintient à la distinction suprême de 16 honneurs.
Sa majesté ne lui reproche pas le fait de préférer la dynastie d’Andrianampoinimerina à celle de Ranavalona.
Il est vrai que la majorité populaire pense comme Rainimanonja. A partir de l’épilogue de ce procès, j’ignore tout de la fin de la vie de mon trisaïeul ; sauf le lieu de sa sépulture. Il repose dans la capitale de Tananarive, dans un tombeau. Il est vrai que cet endroit porte le nom de " Imerinatsiafindra " mot pour mot " le lieu où reposent des Merinas dont la sépulture ne peut pas être changé de place. "
Il ne faut pas perturber le repos des Morts, car, en fait, ils " vivent " avec nous dans le Royaume Invisible des Ancêtres.
(Ailleurs, St Augustin a écrit : " les morts ne sont pas absents. Ils sont invisibles ".)
A l’époque évoquée, en ce moment, la salutation traditionnelle est un souhait de Longue Vie à l’Univers qui englobe les Terriens, Les Honorables, Les Grands Nobles qui vivent sur la Terre sur laquelle s’étend l’autorité de sa Majesté Royale, sous la bénédiction des Ancêtres et sous la puissance sacrée des Âmes des Douze Rois de l’Imerina. Sur cette terre, mes aïeux bénéficiaient des Honneurs Royaux et ils étaient heureux. Ils étaient de grands feudataires et tiraient leurs ressources de terres fertiles, de rizières et de troupeaux de bœufs.
La terre à partager était immense, puisqu’une superficie égale à celle de la France, de la Belgique et du Luxembourg réunis, était exploité par 4 millions d’habitants.
Mais, en revanche, les distances à parcourir, à pied ou à cheval, étaient considérables ; si on projetait la carte de l’Ile, sur celle de la France et de l’Europe, l’extrémité la plus septentrionale affleurerait le port de Kiel en Mer Baltique et l’extrémité méridionale toucherait les Pyrénées. Tandis que la côte Ouest borderait Cherbourg en face d’une côte Est à l’aplomb de Mulhouse.
Les responsabilités des gouverneurs étaient écrasantes et imposaient des vertus humaines hors du commun : écoute des autres, clairvoyance, justesse de la décision. Mais la dérive est possible pour un homme qui a tant de pouvoir, et la coutume malgache voulait que chaque grand décideur soit doublé par un second : " Ny lefitra ", qui était le conseiller, le garant du dogme, et l’espion de son chef.
Mon trisaïeul Rainimanonja a tenu ce rôle auprès de… son frère aîné Rainijohary lorsque celui-ci était le premier Ministre. Quant à Rainijohary, il a fait l’expérience de ce poste, auprès du gouverneur de la province de Mahajanga : le prince Ramanetaka, quelques années auparavant.
Je sublime toutes ces qualités humaines et j’ose espérer en avoir hérité au cours de ma vie active.
L’histoire de mon ascendance paternelle se termine ici.