A la Chambre des députés, au cours de la séance du 13 novembre 1894 Monsieur HANOTAUX, Ministre des Affaires Etrangères, parle à la tribune et propose plusieurs solutions :
Première solution : c’est l’occupation des ports de la côte : Tamatave, Majunga, Diego-Suarez. C’est une solution palliative d’attente : elle n’est pas une solution définitive qui apporte une conclusion.
Les contingents installés sur place mèneront une campagne de guerre d’avant postes et ne seront pas préparés à l’élan d’une expédition définitive.
Deuxième solution : c’est la simple occupation du point stratégique de Diego-Suarez et la renonciation au traité de 1885. On lui oppose le risque d’infiltration d’agents étrangers et la main mise d’autres nations coloniales sur l’île.
Le rejet de ces deux solutions est approuvé, avec force, par l’assemblée.
La troisième solution proposée de l’abandon total de l’Ile est repoussée par une désapprobation unanime. M. Hanotaux justifie l’expansion coloniale : " La France, comme la plupart des puissances européennes, est entraînée vers une politique d’expansion lointaine, qui n’est pas seulement la suite d’une volonté raisonnée ou d’un dessein calculé, mais qui est la résultante naturelle de ce besoin d’activité qui compte parmi les meilleurs symptômes de santé chez les races vigoureuses. "
Il justifie, aussi, l’importance de l’Ile :
" Elle a pris une place, au moins égale à celle de nos colonies d’Indochine : située à l’autre extrémité de l’Océan Indien, accotée à cette Afrique Australe qui prend un si merveilleux essor, placée sur ce chemin du Cap qui peut redevenir bientôt, une des grandes voies du commerce universel. "
Une quatrième solution est donc proposée : c’est l’envoi d’une force militaire puissante entourant le Résident Général à la capitale, " parce qu’il n’y a de véritable protectorat que quand le protecteur est, en mesure, de faire prévaloir sa volonté. "
L’expédition de la côte à Tananarive est difficile et doit s’appuyer sur un effort vigoureux : il faut 15000 hommes et 65 millions de francs. On assiste à des mouvements divers des députés : stupéfaction ? Incrédulité ? qui s’opposent à l’enthousiasme.
Finalement, au vote, la majorité l’approuve soit 372 oui contre 135 non.
Le résultat du scrutin décide de l’intervention militaire terrestre, mais le déroulement de l’opération du 15 janvier 1895, date du débarquement à Majunga, au 1er octobre 1895, jour de la reddition de la capitale de Tananarive semblait donner raison aux opposants.
Plus de 10 000 miles nautiques séparent Marseille de Majunga, avec une traversée de la Mer Rouge, particulièrement éprouvante du fait de la chaleur qui y règne.
23 navires vont embarquer 15 431 combattants, 641 chevaux, 6.630 mulets, et un matériel considérable. Tout est prévu pour cheminer sur terre, franchir les fleuves et même pour s’élever dans les airs, puisque le Génie possède 3 ballons aérostats.
L’acheminement d’un contingent ne peut se faire que dans le lit d’un grand fleuve s’ouvrant par un large estuaire sur un port. Le lit du fleuve " IKOPA " qui contourne à l’ouest Tananarive, se jette en affluent dans le fleuve Betsiboka au nord de Maevatanana, venant grossir celui-ci jusqu’à l’Estuaire trace une voie d’accès idéale.
Majunga est la " porte de l’Occident " ; elle ouvre sur la principale route économique, mais stratégique. Elle sera suivie, en 1942, par les troupes d’invasion britannique..
Cette disposition fluviale est mise en évidence par les 2 cartes dessinées ci-dessous.
Le 15 janvier 1895, le port de Majunga est investi. L’avant-garde du corps expéditionnaire arrive à Majunga par échelons successifs du 28 février au 7 mars.
Elle est commandée par le Général Metzinger et composée d’une partie du régiment d’Algérie, complétée du bataillon d’infanterie de Marine de Diego-Suarez, et du bataillon de tirailleurs malgaches. Ces troupes acclimatées aux tropiques et appuyées par des canonnières manoeuvrant sur l’estuaire et la partie la plus large du fleuve Betsiboka enlèvent MAHABO le 25 mars, puis MAROVOAY le 2 mai.
La voie d'accès de MAJUNGA (Porte de l'occident) à TANANARIVE
Axe Nord-Ouest / Sud-Est : 76°
En rouge : Route d'accès par le corps Expéditionnaire
Le verrou de la plaine fluviale est débloqué. La suite des opérateurs terrestres se déroule sous le commandement du Général Duchesne, commandant en chef de l’expédition qui est arrivé le 6 mai 1895. La colonne se porte en avant le long de la rive droite du fleuve " Betsiboka ", précédée par l’avant-garde du général Metzinger, qui occupe AMBATO, le 22 mai 1895. L’affluent de la rive droite, le Kamoro est traversé le 26 et le 27 mai 1895.
Du 2 au 5 juin, une reconnaissance est poussée sur le fleuve " Betsiboka ", permettant sa traversée et l’occupation de la rive gauche.
Le 8 juin a lieu un combat à Maevatanana. La petite ville conjointe de Suberbieville est occupée. Suberbieville abrite la concession de gisements aurifères exploitée par un français, depuis plusieurs années, M. Suberbie ; connaissant parfaitement la région, il a tracé une des cartes géographiques utilisées par la colonne.
Quelques combats ont encore lieu à TSARASAOTRA le 29 et 30 juin, puis à ANDRIBA le 22 août. C’est à ANDRIBA, que s’impose avec force, la conviction du retard accumulé par la colonne. Ce retard est aggravé par de nombreuses difficultés logistiques et sanitaires qui seront évoquées, dans les lignes suivantes.
Le Général Duchesne décide d’alléger son dispositif, et conscient de ne plus avoir à craindre de résistance militaire importante, monte une colonne légère, avec laquelle il va s’acheminer à grandes étapes vers Tananarive. Il y arrive le 30 septembre et cette date signe la fin des opérations militaires.
A la fin du mois de Septembre 1895, il est juste temps d’arriver sur les Hauts Plateaux de l’Imerina, car déjà s’annoncent les gros orages de la saison des Pluies. 15 000 hommes englués dans la boue, avec plusieurs tonnes de matériel sur 400 km d’une route récemment tracée, auraient été en proie au découragement le plus profond.
Revenons en arrière, pour comprendre ce retard.
Lorsque l’armada française arrive au large de Majunga, le débarquement en masse s’avère difficile. La main d’œuvre est rare, les moyens de déchargements sont insuffisants. Il en résulte un entassement des cargaisons dans les cales ; en particulier le chlorhydrate de Quinine indispensable pour la prophylaxie chimique du paludisme reste inaccessible. 500 kg, soit 800.000 pilules restent, ainsi, à fond de cale.
Il en résulte, aussi, un amoncellement sur la plage des bagages posés pêle-mêle, avec les voitures Lefèvre, les céréales pour les animaux. Le génie va se surpasser, à partir du mois de mars pour y pallier, mais les opérations terrestres ont déjà commencées. Il faut un appontement de 160 mètres de longueur pour mener à bien le débarquement. Mais celui qui a été livré au mois de mars, ne peut atteindre que la moitié, car la reconnaissance qui a été faite du fond de Majunga n’a pas relevé la présence du banc de corail sur lequel il est impossible de visser les pieux.
A partir du port de Majunga, le transport des troupes et le ravitaillement sont prévus sur des rivières navigables, et ceci jusqu’à Maevatanana. La Betsiboka offre, en effet, une voie navigable de 150 km, mais les conditions de navigation ne permettent un passage qu’à la saison des pluies d’octobre à avril, avec un étiage de 50 cm.
Les interventions du député Pierre Alype (Député des Indes françaises) et du député Isaac (Député de la Guadeloupe) viennent appuyer la nécessité de l’utilisation de la voie fluviale.
Sur les 65 millions de francs de crédit demandés par le Général Mercier (alors Ministre de la Guerre) en Novembre 1894, 8 millions figurent au transport par voie fluviale et 11.700.000 au transport maritime. Le matériel commandé comporte, 12 canonnières de deux types différents : 42 chalands, 4 pontons d’accostage, et 6 canots à vapeur de 2 tonneaux.
Ce matériel est parfaitement adapté aux fleuves malgaches, mais la campagne débute, trop vite, par rapport aux commandes. Tout le matériel est livré au Havre en février 1895, alors que la campagne a commencé en janvier 95. Puis faute de transport maritime adapté, il ne sera livré qu’en mai 1895 à Majunga. A cette date, le gros de la colonne est déjà parvenu auprès de Maevatanana, terme de la navigation fluviale. Force est, donc, de recourir à la voie routière sur 430 km. Il faut commencer par construire la route de Majunga à Andriba. Elle parcourt 313 km, elle est large de 3 mètres pour permettre le croisement, elle nécessite des ouvrages d’art : 45 ponceaux d’un développement de 703 mètres.
Cette route est le calvaire du corps expéditionnaire, car elle est l’oeuvre du soldat, sans l’aide de pionniers ni de manoeuvres indigènes. La résistance naturelle du soldat s’est amenuisée, et les expositions constantes aux piqûres de moustiques anophèles ont contaminé la totalité du corps expéditionnaire : le paludisme l’a décimé.
La deuxième partie du trajet d’Andriba à Tananarive est moins difficile. C’est une piste de 190 km fréquentée uniquement par des porteurs. Elle est rendue piste muletière par les compagnies du génie, se relevant chaque jour, pour prendre la tête de la colonne et aménager des passages aux points les plus difficiles. La progression, le long de la route, fut très lente, à l’allure du piéton et du cheval. Elle est encore ralentie par la charge du fantassin, soit les 34 kilos réglementaires. L’idéal aurait été, pour chaque fantassin, de ne porter que son arme et ses munitions. C’est ce qu’il ressort de l’expérience des Britanniques, lors de leurs opérations en milieu tropical. Mais le recrutement des porteurs, soit sur place en pays Sakalava, soit en Somalie, ne s’est pas réalisé comme prévu. Le soldat est donc combattant, porteur et sapeur. Il faut se contenter de 2500 porteurs pour 16 000 hommes.
Le transport du matériel bénéficie de l’expérience acquise au Soudan : on utilise les voitures Lefèvre (caissons montés sur deux grandes roues) tirées, chacune, par deux mulets. L’expédition est équipée de 5040 voitures Lefèvre avec 5000 conducteurs, et on dispose de 6620 mulets. La fatigue provoquée par tous ces imprévus va aggraver l’état sanitaire global déjà entamé par le long voyage maritime, et la chaleur humide de la région. La campagne de Madagascar devient un véritable calvaire. Le corps expéditionnaire perd 5592 hommes, presque uniquement par maladies. 7 combattants tombent au feu et 13 autres décèdent des suites de leurs blessures. Des milliers d’hommes meurent dans les postes de secours, dans les hôpitaux de campagne. Un nombre restreint survit dans les deux sanatoriums de Nossi-Bé (île située au nord de Majunga) et de la montagne d’Ambre à Diego-Suarez.
72% succombent de paludisme, 12% de fièvre typhoïde, 8% de dysenterie, 4% de tuberculose, 3% d’insolation et de coups de chaleur, 0.25% de tétanos. Il est très probable que la mort est la conséquence de la sommation des troubles provoqués par le paludisme, les troubles intestinaux et de coups de chaleur. Au cours du débat parlementaire de Novembre 1894, n député de la Guadeloupe avait souligné l’importance des deux hôpitaux d’évacuation de Nossi-Bé et de la montagne d’Ambre, situés dans des zones climatiques plus fraîches, d’endémicité palustre moins forte. Mais l’afflux des malades est tel que le rapatriement vers la France, de ceux qui paraissent capables de supporter le long voyage de retour, s’impose.
Ce rapatriement sanitaire est aussi catastrophique. Il est acheminé sur des bateaux qui sont faits pour transporter du matériel. Les malades sont disposés dans des faux ponts aérés non pas par des sabords mais par des hublots ordinairement fermés à la mer : la ventilation est donc mauvaise. La température de l’atmosphère est très élevée, en particulier au moment de la traversée de la mer rouge. L’atmosphère est encore surchauffée par la proximité de la chaudière.
Un convoi de voitures Lefèvre sur la Route de Tamatave en 1898. Le corps expéditionnaire français avait débarqué à Majunga en 1895 avec 5000 voitures de ce type tirées par des mulets.
La pathologie est compliquée du fait de maladies tropicales comme les ulcères phagédéniques aggravées aussi par une hygiène médiocre. La mobilisation des malades et les soins d’hygiène sont impossibles. Car, en vérité, le personnel est très réduit, il n’y a que 3 médecins et 10 infirmiers par bateaux.
554 malades meurent pendant le rapatriement sanitaire et ce chiffre se surajoute à celui des décès pendant la marche vers Tananarive.
Les prévisions les plus pessimistes sur le coût en hommes de cette expédition ont été largement dépassées. Quoiqu’il en soit le drame est consommé...
Il existe une situation nouvelle qui appelle à une réflexion. Le 1er octobre 1895, le drapeau aux couleurs françaises flotte sur la " résidence générale ". La Reine Ranavalona III ratifie le soir même le traité du protectorat. Le Premier Ministre RAINILAIARIVONY cède la place à son successeur et part en exil. Le nouveau Résident Général Laroche arrive en janvier 1896 soit 3 mois plus tard, et dispose pour faire défendre les clauses du traité de Protectorat, d’une force militaire commandée par le Général VOYRON, et désignée sous le terme de Brigade d’occupation. La Brigade d’occupation est formée de deux bataillons de Tirailleurs algériens, d’une batterie d’artillerie, et d’éléments du Génie et du Train. Ces troupes symbolisent la force militaire de la France à Tananarive : la capitale.
Mais la capitale, n’est pas le symbole de l’île de Madagascar. La grande île couvre une superficie supérieure à celle de la France, d’une fois et demie. 5 millions d’habitants répartis en 17 groupes ethniques éloignés les uns des autres par la culture, la religion, et la distance géographique, la peuplent.
En fait, la triple articulation Laroche - Ranavalona - peuple malgache n’est pas viable et montre des points de rupture. Le Résident Général Laroche, malgré des qualités intellectuelles et morales indéniables, a contre lui d’être accusé de DUPLICITE car bien que Français, il appartient à la Religion Protestante : la religion des britanniques.
Or, la société malgache de l’IMERINA ne veut pas être soumise aux britanniques. Il faut souligner qu’il y a opposition entre la conception laïque de la République Françaises et la conception théiste de la monarchie malgache.
Dans la monarchie malgache, la religion est instrument de pouvoir. Jusqu’à une date récente, les dirigeants se réfèrent aux prédictions des Devins (SIKIDY). Mais, maintenant, quelques proches du Monarque, appartenant au clan des TSIMAHAFOTSY préfèrent ce que la religion Catholique apporte.
Ils préfèrent la miséricorde et la grâce chrétienne à la superstition des oracles et à la cruauté des ordalies. Certains malgaches rêvent d’une monarchie unie à l’Eglise Catholique, or tout le pays se retrouve confronté avec les idées républicaines laïques importées par la nation protectrice.
Quant au résident général Laroche, son sort ne dépend pas uniquement de la réticence du peuple malgache à l’égard de sa religion protestante, il est aussi en butte aux critiques de son ministre : M. André LEBON, Ministre des Colonies, qui lui reproche d’obéir aux ordres venant de Paris, " sans jamais crier gare ", même lorsqu’il y a danger.
La monarchie malgache perd la suprématie de l’époque des 2 grands rois : Andrianampoinimerina et Radana 1er.
Andrianampoinimerina (1787/1810) a été le Roi de l’unification de toute l’île. Il a utilisé toutes les ressources de la sensibilité humaine pour parvenir à ses fins, qui étaient très louables ; il a fait plier par la force ses ennemis orgueilleux et inflexibles, il a souscrit à des pactes d’alliance avec ceux qui avaient besoin d’une protection, il s’est lié par des serments sacrés (Pactes de sang) avec ceux qui avaient le sens de l’honneur et enfin, il a épousé des princesses lointaines et conclu ainsi, des mariages diplomatiques. L’âme malgache, à l’époque, est capable d’exprimer des sentiments aussi variés, et reste très différente de la mentalité européenne.
Son fils Radana 1er (1810/1828) continue son œuvre d’unification et en fait le serment. Il organise une armée puissante, avec l’aide d’alliés français et britanniques.
Les 2 souverains ont trouvé autour d’eux des fidèles et des disciples " les Tsimahafotsy " sur lesquels ils se sont appuyés pour assurer leur œuvre. A l’origine 12 hommes de ce clan, furent les proches du Roi Andrianampoinimerina.
Lorsque leurs descendants montraient des qualités de sagesse et d’intelligence, ils étaient recrutés dans des postes de responsabilité. C’est ainsi que les Tsimafotsy portèrent sans défaillir le pavois du Roi, jusqu’en 1828.
C’est un trait caractéristique de l’âme malgache que de croire à la transmission héréditaire des vertus humaines.
C’est probablement, pour cette raison, que le Roi Andrianampoinimerina édicta une loi salique recommandant le choix des rois, uniquement, dans la lignée dynastique de sa grand-mère Rasoherina. Cette lignée dynastique fut respectée jusqu’en 1828. Au roi Merina Andriambelomasina, époux de Rasoherina, succéda le Prince Merina Andriamasinavalona, père du futur roi Andrianampoinimerina. En 1810, à sa mort, Radama 1er , seul prince héritier, monta sur le trône. Mais à la mort de Radana 1er en 1828, la loi salique fut transgressée. Car, monta sur le trône une femme, première épouse du roi défunt, et appartenant à une lignée collatérale puisque cousine du Roi.
Cette lignée continua par Radama II, fils de cette reine, puis par la veuve du roi Radama II : Rasoherina, puis par la nièce de la première reine, et enfin par la fille de cette dernière reine. La première reine, veuve et cousine du roi, porta le nom de Ranavalona, qui signifie en malgache " celle que l’on déplie pour les grandes occasions ". C’est une reine de transition. C’est un symbole d’une monarchie qui n’en a plus que l’apparence.
En 1895, la jeune reine Ravalona III se trouve être l’interlocutrice de la République Française. Elle est montée sur le trône, par la volonté d’un clan nouveau des Tsimiambolahy, qui ont voulu l’avènement de cette nouvelle dynastie et qui ont réussi, contre les Tsimahafotsy.
Le peuple malgache tout entier, en 1895, soupçonne cette nouvelle dynastie, d’avoir perdu la protection des Ancêtres. Cette dynastie est désacralisée, et la Reine Ranavalona III perd sa suprématie. La guerre contre les étrangers, qui ont débarqué à Majunga, et investi Tananarive, a été perdue. L’armée Merina, chargée de défendre l’accès à la capitale, a montré des signes de faiblesse. Il faut souligner le fait que l’armée si puissante du temps de Radama Ier, a perdu son organisation et sa force.
Effectivement, un des monarques de cette nouvelle dynastie est responsable de l’affaiblissement de l’armée : il aurait répondu à un courtisan qui s’étonnait de son laxisme : " je n’ai pas besoin de soldats et d’armes pour défendre l’île, car je dispose de deux généraux invincibles : le Général Forêt et le Général Fièvre. "
La forêt, c’est la jungle qui couvre les ¾ de l’île, et la fièvre, c’est le paludisme.
C’était une parole de vérité, mais l’envahissement de l’île par une armée étrangère réussit quand même. Ainsi, sont réunis dans cette capitale isolée, au milieu de l’île, une monarchie affaiblie, un résident général peu crédible, une force armée symbolique : tout pousse à la révolte du peuple malgache et des foyers insurrectionnels s’embrasent dans les régions limitrophes de l’Imerina, en Septembre 1896.
Le résident général Laroche est rappelé en France : il est remplacé par le Général Gallieni : il est réputé pour les qualités de chef et d’administrateur qu’il a montrées au Sénégal, au Soudan et au Tonkin.
Le général Gallieni est investi d’un double pouvoir civil et militaire. Sa mission civile est précisée par le Ministre des Colonies André LEBON : il faut assurer la sécurité dans l’Imerina et préserver les voies d’accès aux ports de Majunga, de Tamatave et à la capitale du sud Fianarantoa. Il importe de créer des régiments indigènes et des milices indigènes en recrutant dans les tribus francophiles et en jouant sur la rivalité qui existe entre tribus francophiles et francophobes. Les cadres seuls viennent d’Europe.
Il lui incombe aussi de veiller à ce que tous les fonctionnaires et militaires français se conduisent avec tact, vis à vis des préjugés concernant les cultes des morts, et vis-à-vis des cultes chrétiens.
Il importe de faire preuve de compréhension vis-à-vis de l’ignorance des populations, et de ne pas sanctionner sévèrement. Par contre, le général Gallieni a pour mission de punir les auteurs des troubles récents et de réprimer la résistance de certains personnages de la cour royale. Enfin, il doit adopter une politique visant à diminuer l’hégémonie HOVA et, en application, faire administrer les indigènes par des gens de la même tribu.
Son pouvoir militaire est à l’image de sa mission civile, car s’il a sous son commandement, des troupes métropolitaines relevant du ministère de la guerre, à savoir deux bataillons de Tirailleurs Algériens, un bataillon de la Légion Etrangère, et les cadres de deux compagnies du Génie, il dispose, aussi de troupes de la marine : le 13ème Régiment d’Infanterie de Marine à trois bataillons augmentés de deux compagnies venues de la Réunion, un régiment de tirailleurs Malgaches comportant deux bataillons organisés, et un 3ème en voie de recrutement.
Le 1er septembre 1896, le drapeau aux couleurs françaises flottant sur Tananarive, capitale de l’Imerina, devient un symbole à effacer de l’esprit. Il ne signe plus la maîtrise de toute l’île. La PACIFICATION de l’île commence.
Une nouvelle définition politique du gouvernement français est formulée par le Ministre des Colonies : "Madagascar est devenue Colonie française et le système qui consistait à gouverner l’île en exerçant simplement une action protectrice sur la peuplade dominante (Les Merinas) est à écarter ".
En effet, même l’Imerina n’est plus contrôlé. Un mouvement insurrectionnel enflamme ses portes à l’ouest, au sud, et à l’est.
A l’est, la route de Tananarive au port de Tamatave est, sans cesse, menacée, isolant la capitale d’une manière dangereuse.
Des colons français sont assassinés, sur les Hauts plateaux. La pacification va s’opérer en plusieurs phases d’actions militaires. La description géographique de ces opérations militaires n’est pas d’un intérêt majeur, mais, le résultat de l’extension territoriale appelle à des commentaires intéressants.
La carte de la conquête du Général Gallieni se superpose presque exactement à celle de la Monarchie Malgache de 1783 à 1820.
La République Française s’est substituée à la Monarchie Malgache.
La Reine Ranavalona III n’a plus de raison de régner. En février 1897, elle est exilée à la Réunion. Plus tard, la Reine Ranavalona III fut transférée à Alger, où elle vécut, dans un bien être matériel certain. Elle bénéficiait d’une certaine liberté, et alla à Paris plusieurs fois.
Le statut colonial est mis en place. L’extension géographique de la pacification peut se dessiner en 4 zones :
Une zone complètement pacifiée. Elle est remise à l’administration et le maintien de l’ordre est confié à la Milice ; c’est toute la côte est, une partie de la côte nord-ouest, et le pays Betsiléo situé au sud de Tananarive.
Une 2ème zone est pacifiée mais il est indispensable de conserver encore l’administration militaire : elle comprend le cercle d’Analalava par la côte nord-ouest, le cercle de Fort-Dauphin, actuellement Toalagnaro, à l’extrême sud de l’île, et surtout tout le plateau de l’Imerina.
L’exemple de l’Imerina mérite de s’y arrêter, car il témoigne de la volonté du général Gallieni de préserver l’autorité des chefs traditionnels.
La région de l’Imerina est divisée en 7 cercles militaires. Chaque cercle est placé sous l’autorité d’un commandant, assisté d’un officier adjoint et d’un chancelier disposant de caisses de fonds d’avances, de fonds de ravitaillement et de baraquement.
Il dispose, sous ses ordres d’une hiérarchie indigène formée de haut en bas, d’un gouverneur général, ayant autorité sur des sous-gouverneurs, dirigeant eux-mêmes des gouverneurs " Madinikas ", qu’on peut comparer à des chefs de sous-cantons.
Sur cette hiérarchie indigène se calque une hiérarchie militaire divisée en secteurs, commandés par des officiers de l’armée française.
Une 3ème zone reste en voie de pacification du fait de l’attitude belliqueuse de certaines tribus. Elle comprend le cercle des Baras, au sud-ouest du pays Betsileo et de Fianarantsoa, le cercle de Tuléar, et une partie des cercles de Maintirano et de la Mahavavy (entre Majunga et Morondava) sur la côte ouest.
Enfin une 4ème zone où aucune tentative de pénétration n’a été faite : c’est le pays Mahafaly, à l’extrême sud de Madagascar et aux confins nord de l’Androy.
Que dire, en 1898, du territoire de la colonie de Madagascar ? C’est qu’il ressemble étrangement au Royaume unifié par les rois Andrianampoinimerina et Radama 1er .
Mais là où la pacification n’a pu utiliser que la force des armes, l’annexion au royaume a usé quelquefois d’alliances par mariage, ou par serment fraternel. Les émissaires royaux sont souvent des politiciens, proches du roi.
C’est ainsi, qu’en 1830, la reine Rasoherina envoie son conseiller politique Rainimanonja soumettre les Tanalas. L’expédition est puissante, puisqu’elle s’appuie sur 8000 guerriers Merinas, et 14000 auxiliaires Betsiléo. Cette opération se déroule à 350 Km de la capitale. Les guerriers Tanalas se réfugient dans le massif de l’Ikongo et ne se soumettent pas. Plutôt que de faire couler le sang, en vain, Rainimanonja renonce à son projet et lève le siège.
Une légende affirme, en effet, que le rocher où se sont retranchés les guerriers Tanalas ressemble à une tique agrippée sur le dos d’un animal, et de même que seul le maître a le souci d’enlever une tique sur sa bête, seul un tanala, peut enlever ce réduit…
L’âme de chaque peuple a ses mystères…
L’inconscient collectif du peuple malgache est encombré de mythes qui inhibent l’action. Toute action de guerre contre les Tanalas est suspendue. Une paix tacite est conclue après qu’un émissaire royal merina, Ratsisalovano se soit allié au prince Tanala, par un serment de sang. Le serment de sang ou Fatidra, consiste à se jurer une affection fraternelle, après avoir mélangé deux gouttes de sang des assermentés.
Les émissaires civils et militaires de la 3ème République sont lancés dans une logique implacable d’expansion coloniale.
Le 10 octobre 1897, l’administrateur Besson et le commandant Cléret investissent le massif de l’Ikongo et investissent le rocher. Ils bénéficient de la complicité d’un Tanala qui leur montre un accès secret au sommet du rocher. A-t-il cédé à la torture ou l’appât du gain ?
Nul ne le sait. En tout cas, la " Tique " a bien été enlevée, grâce à un Tanala.
Toute l’île est quadrillée par une force militaire sous uniforme français. La grande majorité de ces soldats sont d’origine malgache et d’origine africaine. A l’incompréhension d’être vaincu par d’autres hommes récemment colonisés , fait place l’amertume. De cette amertume, naîtra le désir de se libérer par la force.
On peut expliquer, ainsi, que les soixante années de présence coloniale française soient troublées épisodiquement par des soulèvements au début puis par des mouvements plus intellectualisés de demande de démocratisation. Une opposition à la présence coloniale a toujours régné.
En 1898, la capitale Tananarive est administrée militairement. Elle siège au milieu du 3ème territoire militaire commandée par un colonel. Elle doit reconnaître pour maire un capitaine. La plupart des officiers habitent dans des maisons privées, dans divers quartiers de la ville. Une vie de garnison s’organise. Il faut fuir la mélancolie et on cherche à créer des divertissements analogues à ceux de la France lointaine.
C’est ainsi, que le 23 avril 1899, le gouverneur général reçoit à Tananarive, les notables et les hauts fonctionnaires à une table digne de la gastronomie française dont le menu comporte : des œufs brouillés aux Truffes, de petites croustades aux huîtres, un sauté de poulet à la Denidoff, des côtes de bœuf rôties garnies de croquettes de pommes, un chaud-froid de canard à la gelée, des asperges (sauce mousseline) et un savarin Crème chantilly.
La soirée se prolonge par une revue en deux actes et 3 tableaux, dont les titres témoignent de l’assimilation de la culture locale, à savoir :
Acte I : Le buffet de la gare de Beforona. (La conspiration).
Acte II : Le club militocolonphile de Tananarive. (Le crime se consomme).
Final : Les noces de Lanterneau. (Ballet).
Tous ces mots paraissent sibyllins actuellement, mais ils ont le mérite de divertir les jeunes officiers et les non moins jeunes fonctionnaires civils…
La liesse gagne une partie de la société malgache. Chacune des communautés française et malgache porte un regard différent, un peu moins farouche, et plus attendri.
Une idylle naît entre un jeune médecin de Marine et ma future grand-mère Ramatoa Ravelonoro. La réprobation est générale dans la famille.
L’union n’aboutit pas au mariage. Mais un enfant naît en 1903. C’est mon père. Lorsqu’il faut donner un nom à cet enfant non reconnu par son père étranger, la tradition est rejetée. Aucune patronymie ne sera reconnue : l’enfant porte, comme nom, le diminutif du nom usuel de son grand-père. Son grand-père s’appelle Ramanantsoavina dit Rainimiaramila.
Rainimiaramila, c’est étymologiquement parlant : le père des soldats, probablement le surnom d’un chef militaire. L’enfant est appelé Ramiara. Il est porté sur les fonds baptismaux d’une église chrétienne d’Ankadifotsy, son quartier natal. Il est prénommé André.
Ma grand-mère souffre de cette situation insolite dans la société malgache. Elle meurt de chagrin peut-être, et de phtisie surtout.
L’enfant André Ramiara est élevé par un pasteur anglican d’origine française. Le nom patronymique est perdu, l’attache au culte ancestral est coupée , et puis la famille est dépouillée de toutes ses terres. Car le père des soldats est indéfectiblement fidèle à la monarchie. Il n’éprouve aucun sentiment ni bienveillant ni malveillant à l’égard de la République Laïque étrangère qui prend sa terre natale. Il est donc, spolié de tous ses biens, qui sont autant de marques d’estime de la Royauté déchue.
Nous perdons notre identité. Tous les liens de cette famille dont nous pouvons être fiers sont coupés. Aujourd’hui, un siècle après, je remonte, pas à pas, lentement dans notre passé, pour me rassurer.
Je ne trouve que quelques repères pour me guider, mais ils sont sûrs et empreints de vérité. Ce sont autant de projecteurs qui viennent éclairer des plages de mon inconscient.
Le cheminement dans le passé de la lignée paternelle se fait à la lumière des témoignages de l’écrivain public Rabenjamina Androvakely.