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L’échec de la parole

Le 1er octobre 1895, le drapeau aux couleurs françaises flotte sur Antananarivo. Cette date signe l’abdication de la Reine, l’établissement d’un protectorat et marque la fin de discussions diplomatiques stériles et d’une guerre courte mais meurtrière. L’échec des relations diplomatiques entre le gouvernement français et la Cour Royale de Madagascar témoigne d’une ignorance ou d’une ambiguïté d’esprit : nul ne le saura vraiment.

Les bases des relations diplomatiques s’appuient sur le traité conclu le 17 décembre 1885. Il place l’île de Madagascar sous le protectorat de la France. Il accorde à la France un Résident Général. Ce dernier préside aux relations extérieures de Madagascar, sans s’immiscer dans l’administration intérieure des Etats de Sa Majesté la Reine (c’est l’article II du traité).

Le Résident Général garde un droit d’audience privée et personnelle auprès de sa Majesté La Reine (article III). Quant aux citoyens français, ils peuvent résider, circuler et faire le commerce librement dans toute l’étendue des Etats de la Reine. (Article VI). Ils ont la faculté de louer, par bail emphytéotique les terres, maisons, magasins et toute propriété immobilière. Ils ne sont soumis qu’aux Taxes Foncières acquittées par les Malgaches.

La France, de son côté, s’engage à prêter assistance à la Reine de Madagascar pour la Défense de ses Etats, mettre à la disposition de la Reine, les instructeurs militaires, les professeurs, les ingénieurs et les chefs d’ateliers qui seraient demandés. Selon les propres mots de M. De FREYCINET, président du Conseil et Ministre des Affaires Etrangères, le Résident Général a la vocation de "guider, peu à peu, les autorités et le peuple malgache dans la voie de la Civilisation ".

La voie de la civilisation apparaît bien éclairée, au gouvernement français, surtout dans l’axe du Protectorat, car il en a l’expérience : il gère sous protectorat le Cambodge (1863), le Congo (1880) et la Tunisie (1883).

La civilisation apparaît bien contraignante, pour cette jeune Reine et son Premier Ministre, à 10 000 kilomètres de l’Europe…

La Reine RANAVALONA III est montée sur le trône, en 1883, 2 ans auparavant. Comme son nom l’indique, elle n’a plus qu’un rôle symbolique : elle est comme l’Etoffe précieuse "que l’on plie".

Elle est la 3ème du nom, dans une dynastie de reines qui n’ont pas été choisies, dans la lignée directe du Roi, fondateur de la vraie monarchie malgache étendue à toute l’île, le Roi ANDRIANAMPOINIMERINA. Ce dernier, monté sur le trône en 1787, avait le culte de l’unification de toute l’île. Il avait dit, en son temps : " NY RIAKA NO VALAMPARIHIKO " : la mer sera la limite de ma rizière.

Il était appuyé dans son œuvre, par la force et la Cohésion du Clan TSIMAHAFOISY.

Un siècle plus tard, en 1885, la pensée politique du Clan TSIMIAMBOLAHY, qui porte à sa tête le Premier Ministre RAINILAIARIVONY, n’est plus aussi déterminée à unifier l’île. Quoiqu’il en soit, le Premier Ministre RAINILAIARIVONY découvre le Protectorat, et la tâche des Résidents généraux n’est pas aisée.

Le Résident Général Le Myre de Villers se heurte, en mai 1886, à la 1ère difficulté constituée par le traité Kingdon. Il s’agit d’une intrigue anglaise, visant à négocier un prêt de 20 millions à 7% d’intérêts, en échange d’une concession d’une banque d’Etat avec frappe de monnaie.

Il s’ensuit des discussions, et le gouvernement français menace de ne pas garantir les prêteurs en cas de guerre.

Les promoteurs anglais abandonnent leur projet. C’est la France qui vient établir une succursale du Comptoir d’Escompte. Une 2ème difficulté surgit lorsque le Résident Général demande le droit d’occuper Diego Suarez et d’y faire des installations à la convenance de la France.

Ce droit est contesté, et n’est accordé à M. Le Myre de Villers, qu’après de longues discussions.

Une 3ème difficulté survient lorsque le Résident Général demande le droit d’accréditer les conseils anglais et américains, et le pouvoir de conférer l’exequatur.(L’exequatur : acte autorisant un consul étranger à exercer ses fonctions)

M. Le Myre de Villers n’obtiendra jamais ce droit, d’une manière formelle : il apparaîtra que la France s’est installée à Tananarive, sans avoir donné à son représentant les moyens militaires de se faire respecter. M. Le Myre de Villers est rappelé en mai 1889.

M. Bompard lui succède de juillet 1889 à décembre 1891, et il reprend à son compte la négociation concernant le droit d’exequatur, et en particulier, celui du Consul anglais. L’affaire commence bien : l’Angleterre accepte le rôle du Résident Général, mais en fait part directement à la Cour Royale, sans passer par le Résident qui est accusé de traiter en secret avec les Anglais. Le Résident Général devient persona non grata auprès du Premier Ministre, et de ce fait, ne peut pas conférer l’exequatur au requérant suivant, à savoir le Consul allemand. M. Bompard se trouve en butte à la susceptibilité du Premier Ministre RAINILAIARIVONY

M. Larrouy lui succède de 1891 à septembre 1894, et accumule, lui aussi, les difficultés :

Tout d’abord, le Premier ministre malgache lui fait part de sa volonté de prendre l’installation du télégraphe, à son propre compte, sans passer par l’intermédiaire du gouvernement français. Le Résident général oppose son refus.

2ème difficulté : le Résident général fait part au Premier Ministre de l’émotion de son gouvernement à l’arrivée d’armes et de munitions pour le compte des Hovas, dénonçant ainsi le traité de Protectorat qui laissait à la France la primauté de détenir des armes pour défendre les "états de la Reine ".

3ème difficulté : des troubles éclatent en IMERINA, marqués par l’assassinat de ressortissants français et par l’attaque de concessions françaises. Le principe du jugement et de la sanction des coupables par un tribunal mixte Franco-malgache n’est pas respecté.

4ème difficulté : le Premier ministre maintient sa revendication au droit d’acheter des armes et d’aménager des ouvrages de défense dans toute l’île.

Finalement, des ressortissants européens confiés à la garde de la France font part au Résident Général de leurs craintes, devant les multiplications des exactions commises contre eux ; le Résident Général veut rompre brutalement : la France ne lui en laisse pas le temps et le rappelle.

Une dernière tentative de négociation est confiée au Premier Résident Général du protectorat : Le Myre de Villers, qui arrive à Tananarive en octobre 1894 : il est investi des missions d’envoyé extraordinaire, et porte un projet de traité en 5 points :

  1. Interdiction au gouvernement malgache d’entretenir aucune relation avec les gouvernements étrangers ou leurs agents autrement que par l’intermédiaire du résident français.
  2. Enregistrement, à la résidence, des concessions faites par le gouvernement de la Reine à des Français ou à des étrangers.
  3. Droit pour le gouvernement français d’entretenir des forces militaires qu’il jugera nécessaires pour assurer la sécurité de l’île.
  4. Entreprise, par ce même gouvernement de tous les travaux d’utilité publique.
  5. Perception des profits de ces travaux toutes les fois que le gouvernement malgache ne sera pas chargé de l’exécution des travaux.

Les termes mêmes du traité "interdiction ", "enregistrement ", "droit ", "entreprise ", "perception " témoignent d’une volonté de légaliser une domination et un bénéfice d’avantages financiers. Aucune monarchie ne peut accepter de tels principes venant d’une autorité extérieure. Le Premier Ministre RAINILAIARIVONY est désemparé ; il réagit selon la nature de l’âme malgache : il oppose son silence.

L’envoyé extraordinaire lui notifie une mise en demeure de répondre et en informe les différents consuls et les citoyens français.

Le Premier Ministre est contraint légalement de répondre : il le fait en proposant une conférence à la date du 22 octobre 1894.

A la conférence du 22 octobre 1894, l’envoyé extraordinaire expose le motif des griefs du gouvernement français : à savoir les voies de fait d’un prince de sang royal sur un soldat français et les absences d’excuse du Premier Ministre.

Il souligne le caractère de gravité de la situation en cours et fait planer le spectre de la guerre et des conséquences funestes pour le peuple malgache, car la défaite serait inéluctable.

Le Premier Ministre est surpris de la menace de guerre et assure l’envoyé spécial de son désir de maintenir de bonnes relations. Ce sont deux logiques différentes qui s’opposent. Le Premier Ministre cache le fond de sa pensée et biaise, espérant une transaction, voire un marchandage, l’envoyé extraordinaire se dévoile comme le plénipotentiaire d’un pays qui est sûr de sa force.

Et l’envoyé extraordinaire rappelle que les résidents généraux, au titre d’un article du traité de 1885, ont réclamé la constitution d’un tribunal mixte franco-malgache pour juger les litiges entre français et malgaches, et qu’ils n’ont jamais obtenu satisfaction. Il souligne, qu’en cas de contestation entre français et malgaches, il n’est pas possible d’obtenir justice.

Il continue sur l’insécurité des ressortissants étrangers à Madagascar et la conséquence de cette situation : l’évacuation de Tananarive de ces mêmes ressortissants.

Avant de lui demander de signer ce traité, il rappelle au Premier Ministre, l’enjeu de cette décision : la paix ou la guerre.

Le choix est on ne peut plus clair. La gravité de la situation est évidente, puisqu’il est question d’évacuer les ressortissants étrangers, donc de rompre les relations diplomatiques, comme à la veille d’une guerre. Mais le Premier Ministre malgache fait la sourde oreille ou plutôt mime l’incompréhension. Car, à mon avis, il se laisse entraîner dans l’art de la joute verbale, cher aux "mérinas " et il propose un contre-projet en 7 points d’une précision telle qu’on pourrait croire qu’il impose un ultimatum.

Premier point : L’assurance de la sauvegarde de la personne et des biens nationaux, à condition que la France n’empêche pas l’introduction des armes et munitions "pour mener à bonne fin cette obligation "

Second point : Le développement du commerce et des industries d’utilité publique, sans intervention de la France.

Troisième point : Le paiement par M. Suberbie, propriétaire français de gisements aurifères, d’un million de piastres, soit cinq millions de francs au gouvernement malgache, pour l’aider à se libérer de ses dettes.

Quatrième point : Le jugement du Tribunal malgache pour toute plainte venant d’un français. IL y a donc refus de coopération en matière de jugement.

Cinquième point : L’enregistrement de tout prêt français au bureau des Affaires Etrangères de Madagascar, avec paiement d’un droit de 2 centimes par piastres sur les intérêts : taux qui pourra être élevé selon le bon vouloir de la Reine.

Sixième point : Le jugement par le Tribunal Mixte de toute contestation pour convention d’Industrie et de Commerce faite par un français.

Septième point : L’interdiction signifiée aux troupes françaises de débarquer à terre pour y faire de l’exercice.

Les termes de la réponse : interdiction unilatérale, jugement unilatéral, compensations à l’avantage d’une seule des deux parties témoignent d’égocentrisme et signent l’engagement dans un dialogue de sourds.

La proposition est jugée inacceptable par le Président Général, malgré les allégations de bonne volonté du Premier Ministre.

La décision est prise sur place, de rompre les relations diplomatiques et d’évacuer tous les ressortissants français. La suite de la conduite à tenir va être soumise au débat parlementaire.